Logo Voie 21 - consommer autrement

Le Média

Deux amies, un rêve : réveiller les stocks dormants du luxe

Temps de lecture : 10 mn

Chez Voie 21, on aime bien raconter des histoires ! parfois drôlesparfois informatives et parfois humaines. Aujourd’hui, c’est celle de deux amies, audacieuses et entrepreneuses qui nous a vraiment séduite. Voici leur histoire !

Il était deux fois ...

Nous allons vous raconter l’histoire de deux copines qui font connaissance sur les bancs de Dauphine à Paris – sections finance et marketing – début 2000. Puis, l’une complète sa formation avec un master de Mode et Design à l’IFM et se dirige vers la maroquinerie de luxe en tant que cheffe de produits et de développement ; l’autre part diriger des services d’analyse financière et de marketing digital, à l’étranger (Argentine, New York) puis en France.
La première est stupéfaite de constater que le matériau noble qu’est le cuir utilisé dans la fabrication de sacs, de pochettes … des maisons de luxe chez qui elle travaille, finissent parfois en stocks dormants (ensemble de matières qui ne trouvent plus d’utilité au sein d’une entreprise et encombrent les entrepôts. Sa valeur est dévaluée. Sans acquéreurs, ils sont finalement incinérés ou partent en recyclage à terme).
Ces stocks dormants représentent entre 5 à 10% de la production totale de cuir en France soit environ 300 à 600 tonnes par an. De quoi réaliser quelques sacs et autres accessoires de mode !
La seconde prend, il y a 8 ans, “une claque environnementale” nous dit-elle en nageant dans une piscine avec une amie, cette dernière lui parlant rapport du GIEC, réchauffement climatique, émissions de CO² et autres dérives. Elle cherche, se renseigne, lit beaucoup et ce qu’elle savait d’une certaine façon, prend alors tout son sens, forme un tout et de ces réflexions, elle en sort un sens, une direction pour sa vie professionnelle.
Les deux amies se retrouvent, à un bon moment pour toutes les deux, en 2020 et elles profitent du confinement pour réfléchir, poser les bases, définir les objectifs, construire un site et une e-boutique … et rendre ainsi le concept de sourcing responsable, concret et viable.
L’une s’appelle Virginie Ducatillon et elle a lancé Adapta en 2018 et l’autre s’appelle Marie-Anne Gauly, et devient son associée en 2020. En quatre ans, elles sont parvenues à l’équilibre financier tout en engageant deux personnes en CDI et une alternante. En septembre, une stagiaire les rejoint. L’existence de cette équipe dont l’esprit et la dynamique les ravissent, est, nous disent-elles, leur premier succès dont elles sont très fières.

outils cuir sourcing responsable
Photo de Annie Spratt sur Unsplash

Eco système, éco solidarité

Si nous remontons un peu le temps, Virginie Ducatillon nous raconte que les débuts ont été … oscillants. Bien qu’elle possède un joli carnet d’adresses, elle nous explique que sans sa maison de luxe derrière elle, elle doit tout prouver de nouveau : défendre son idée, prouver ses compétences, convaincre de la rentabilité du projet. Elle doit aussi marcher sur “ses deux jambes” en même temps : trouver des fournisseurs de cuir et des clients pour les acheter, l’un n’allant pas sans l’autre.
Elle “prend donc son bâton de pèlerin” et s’engage sur le chemin avec courage. Fort heureusement, comme souvent dans les parcours initiatiques et la quête du Graal, des alliés se présentent pour venir en aide au voyageur, donner le petit coup de pouce qui transforme une idée en projet concret. Du côté des fournisseurs, c’est le tanneur HAAS qui répond présent et du coté des clients, c’est Sylvie BETARD, déjà partie prenante du réemploi avec La Réserve des Arts et qui élargit son offre par une première commande, à Virginie, de sous-main en cuir. D’autres soutiens apparaissent au fur et à mesure : un, en lui prêtant un lieu de stockage et un autre, en lui prêtant un show-room dans le Marais.
Ce démarrage est prometteur et semble indiquer la méthode pour se déployer : trouver un “champion” au sens médiéval du terme, celui qui adhère à la cause et la défend. Ainsi, qu’il s’agisse d’un collaborateur d’une maison de luxe particulièrement enthousiasmé par le projet, de services comme le supply chain (chaîne logistique) ou de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) qui adhèrent au concept de sourcing responsable … les connexions se font et les partenariats commerciaux suivent.

Une histoire humaine … c’est bien ce que nous vous avions annoncé en introduction, non ?

Réinventer le déstockage et promouvoir l'éco circularité

Stocker, quelque soit le produit, a un coût. Et plus la durée du stockage est longue, plus le coût s’allonge aussi. S’il se prolonge trop, le produit est … brûlé. En ce qui concerne le cuir, il est incinéré donc produit de l’énergie ou bien part en recyclage pour un produit avec des performances moindres. Mais pour Virginie et Marie-Anne, cela reste un énorme gâchis, d’autant que les cuirs sont de très grande qualité. S’ajoute pour Marie-Anne, la “championne” de l‘éco circularité (dont la définition est, selon l’Union Européenne : “L’économie circulaire est un modèle de production et de consommation qui implique le partage, la location, la réutilisation, la réparation, la remise à neuf et le recyclage des matériaux et produits existants le plus longtemps possible. De cette manière, le cycle de vie des produits est prolongé. En pratique, cela implique de réduire les déchets au minimum”) que ces matières endormies doivent être réveillées et sublimées par de talentueux-ses créateurs et créatrices de mode qu’elle rencontre, notamment dans le cadre du podcast d’Adapta, Points de Bascule.
L’idée d’Adapta est donc ingénieuse mais rompt aussi pas mal les habitudes, c’est-à-dire qu‘il s’agit de proposer aux clients de partir de la matière existante (les stocks dormants) pour se laisser inspirer et imaginer, créer un produit. Au lieu de l’inverse !
Ce dernier peut-être un produit déjà existant, un modèle par exemple, qui sera fabriqué en série limitée ou dans des couleurs spécifiques pour une collection temporaire, grâce aux cuirs trouvés dans les entrepôts de stockage. Il peut aussi s’agir de prototypes ou de vraies nouveautés, notamment ceux fabriqués par des étudiants et des jeunes créateurs.

Chris-barbalis-unsplash

Enthousiasmer le changement

Chez les structures de petite taille, cette nouveauté s’intègre assez facilement. Pour les entreprises plus importantes (les grands comptes), cela demande de l’agilité pour trouver le bon timing, par exemple, entre le choix du cuir dans les stocks, la conception du produit et sa fabrication. Les pressions du temps ne sont pas les mêmes entre le fournisseur de cuir qui veut vider ses stocks rapidement et le client qui fabrique selon des process plus longs. Virginie et Marie-Anne font de l’intermédiation entre ces deux pôles en ralentissant la contrainte d’un côté et en l’accélérant (un peu) de l’autre.
Adapta intervient aussi en revisitant avec le client les process existants et en n’éludant aucune contrainte. Une “calculette”, outil crée par Adapta, avec l’aide d’un cabinet de conseil spécialisé, permet à l’entreprise de visualiser l’économie d’impact réalisée sur la fabrication de la matière (en comptant les transports des peaux brutes des tanneurs aux clients). Pour rappel, la matière représente environ 70% de l’impact environnemental d’une collection. Un bel outil sur lequel communiquer !
Pour les grandes structures, elles choisissent souvent de démarrer par des capsules (une ligne de vêtements ou d’articles, généralement composée de quelques pièces en série limitée) pour tester la faisabilité et l’économie d’impact ce qui permet aussi à Adapta d’asseoir son positionnement marketing et de connaître de mieux en mieux les besoins et attentes de ses clients.
La confiance une fois installée, des commandes plus importantes suivent souvent les premières réalisations. D’ailleurs, la bonne connaissance de ses clients, fait que Adapta est en capacité de leur proposer des textures et couleurs de cuir qui correspondent bien à leur démarche créative ou leur projet de collections.

Et justement qui sont ces clients ?

Parce que ce qui les rend fières et heureuses, c’est d’une part de travailler avec des clients, créateurs ou artisans extrêmement créatifs et d’autre part permettre, dans une certaine mesure, de rendre plus accessible les matières nobles au plus grand nombre de consommateurs.
La liste, non exhaustive, qui suit, illustre leurs coups de cœur :

  • Les tous premiers : Phi 1.618, une cliente des tous premiers jours et qui reste fidèle à la démarche de réemploi ; Atelier Farny dont les produits sont délicats tout en étant “hyper mode”, le type de créateurs que Virginie et Marie-Anne aiment suivre et voir évoluer, grandir ; Valentine Despointes qui crée des choses tellement belles que cela en est de l’art.
  • Ceux qui rendent “le beau” et “le luxe” plus facilement accessibles : La Redoute (collection 2022) et Le Printemps (La Réserve)
  • Ceux avec qui travailler rime avec plaisir, grâce à des équipes soudées, investies et créatives : Patou et Carel

Ethique et sécurité

Pour que le sourcing responsable soit attractif intellectuellement et rassurant techniquement, Virginie et Marie-Anne ont une “charte” de confidentialité avec leurs fournisseurs (les noms, surtout si ce sont des maisons de luxe, ne sont jamais divulgués pour éviter, entre autres choses, la contrefaçon), une traçabilité de la qualité des stocks impeccable et une transparence sur les prix :

  • Les tarifs sont dégressifs en fonction du volume de la commande ce qui permet aux clients de connaître rapidement leurs prix de revient sur les produits à créer.
  • Des ventes exclusives mensuelles avec des prix de 30 à 70% moins chers que les prix courants.

Enfin, une réflexion sur la manière de commercialiser ces produits, pour contourner certaines contraintes liées au réemploi, est partagée avec les clients, comme par exemple :

  • Des animations de collections crées exclusivement pour les marques,
  • La présentation de petits articles (maroquinerie, bijoux…), ce qui permet à la marque de commander une plus importante quantité de cuir afin de prolonger ces accessoires sur une ou deux années.
  • Des séries exclusives sur un point de vente précis, contourne la contrainte des petites quantités pour des marques avec beaucoup de points de vente et l’exclusivité d’une animation de collection
  • La mise en avant d’une marque ou d’une gamme spécifiquement créée autour du réemploi, contourne la contrainte parfois du budget des marques et leur permet de créer une gamme bien visible pour leurs clients.
  • Des précommandes sur une plateforme où il est proposé à une communauté de co-construire une collection ce qui permet, à la marque, d’acheter le volume de cuirs au plus juste par rapport aux futures ventes de produits finis.

« La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse »

Stimulées par leurs premiers succès, Virginie et Marie-Anne ont prolongé leur réflexion et leur objectif. Et comme Adapta n’écoule pas l’intégralité des stocks dormants aujourd’hui, nos deux entrepreneuses lancent la marque Itera pour prolonger et amplifier la tendance, en créant des cadeaux d’affaires ou d’entreprise.
Les matières étant sublimes (couleur et qualité), Itera développe sa propre créativité autour de quatre produits : le cabas, le porte cartes, le porte-clés et la pochette. Actuellement, c’est la phase de co-construction avec cinq fabricants européens pour aboutir aux produits finis qui seront présentés lors du salon OMYAGUE les 13 et 14 septembre 2023 au Carrousel du Louvre.
C’est aussi pour elles, l’occasion de partager avec le plus grand nombre de personnes, la possibilité de détenir un vrai bel objet à un prix qui reste raisonnable.

Les 4 produits de Itera

« Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité »

Pour nos deux cheffes d’entreprises, la stratégie du sourcing a un bel avenir devant elle. La tendance est à une mode responsable et c’est d’ailleurs pour Virginie une lame de fond qui s’annonce.
Elle va venir des jeunes qui intègrent ou créent des marques et pour qui ce gaspillage est à bannir autant que faire se peut ; elle va être appuyée par des grandes entreprises, sans lesquelles aucun impact véritable n’est possible ; et enfin, elle va être soutenue par des consommateurs qui demandent davantage de mode responsable, en choisissant de porter leurs valeurs à travers leurs vêtements.
Enfin, la législation se renforce : d’abord proposée le 10 février 2020 dans le schéma d’une économie circulaire, la loi anti-gaspillage vient de rentrer en vigueur le 1er janvier 2022. La promesse ? En plus de réduire le gaspillage alimentaire, elle interdit la destruction de produits finis.
Toutes les entreprises sont donc concernées et vont devoir s’adapter, ajuster leurs process pour adopter l’économie circulaire le plus possible. D’ailleurs certaines maisons de luxe lancent des programmes en interne pour réutiliser les stocks, en collection capsule et décorations de magasins Cependant, il y a encore bien besoin d’acteurs comme Adapta.
Cette jeune entreprise (5 ans) est née d’un constat (l’énorme gaspillage de matière noble) qui s’est transformé en concept (le sourcing responsable) qui, lui-même, est devenu aujourd’hui bien concret grâce à une équipe de 5 personnes qui œuvrent, main dans la main, avec des fournisseurs et des clients pour transformer un gâchis en sources de créativité et d’inventivité.
“Construire un monde concentré sur le positif, basé sur la confiance, dans la joie que suscite l’enthousiasme du partage et de la circularité, tout en proposant des solutions viables … c’était un rêve qui est devenu réalité.”
Et ce n’est pas nous qui le disons ! c’est Virginie Ducatillon et Marie-Anne Gauly !

Cet article a été écrit par Hélène Gonzalez, 
rédactrice curieuse et passionnée

Photo Helene Gonzalez

Partager l’article…

Vous aimerez lire

Soupe de céleri rave aux carottes

Pour changer des potages habituels, nous vous proposons une nouvelle association de légumes : le céleri rave pour apporter une saveur originale et la carotte

Omelette à la feta & aux crudités

On vous propose, en ce début d’automne, un petit déjeuner complet et salé. Parfait pour éviter la fringale de 11h et démarrer la journée en douceur