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Comme pour le portrait des deux co-fondatrices de Adapta, nous aimons bien, chez Voie 21, mettre en avant des entrepreneuses audacieuses, remplies d’une énergie constructive et assumant leurs valeurs avec panache.
Aujourd’hui, nous vous proposons le portrait d’une femme de convictions, d’idéal de vie et pleine de ressources étonnantes.
Une rencontre tonique et bien inspirante !
L'upcycling comme modèle de vie
Le rendez-vous a lieu dans son atelier-boutique, rue Louis Braille dans le 12ème arrondissement de Paris. Pour celle qui veut aider les gens à prendre conscience que la surconsommation de vêtements est un fléau (écologique, humanitaire …), être installée dans la rue qui porte le nom de l’inventeur d’une écriture tactile pour les aveugles est déjà tout un symbole : permettre à ceux qui ne voient pas (encore) les ravages de l’industrie de la mode, de pouvoir expérimenter, concrètement, avec leurs mains, comment faire autrement.
Parce que l’upcycling (surcyclage en français), c’est bel et bien ça : créer quelque chose d’entièrement nouveau à partir de déchets existants. Recycler par le haut donc !
En entrant, je découvre une femme, coiffée un peu à la garçonne, qui m’accueille avec un café et une envie de me faire découvrir son art. Je découvre aussi une personnalité authentique, avec des valeurs assumées voire revendiquées et un appétit pour la vie incommensurable.
Une matière qui a une histoire
Diplômée de l’école Auguste Renoir (section illustration) et de l’école supérieure d’arts appliqués Duperré (section textile), Céline Dupuy est une avant-gardiste en matière de “surcyclage”. Il y a déjà plus de 17 ans, alors enceinte (ce qui a certainement accéléré sa prise de conscience) et bien que le mot n’existe pas encore, elle s’insurge devant le gâchis exorbitant de la mode et des impacts écologiques que cela entraîne. Elle est aussi une spécialiste dans le DIY (Do It Yourself) – “on n’est jamais mieux servi que par soi-même” étant son adage préféré – et elle écrit, dès 2014, un livre “100% Jean”, véritable incitation à transformer en accessoires nos vieux jeans.
Le vêtement vers lequel elle se dirige en priorité est donc le fameux pantalon Jean ou Blue Jean ou Denim qu’elle explique de la façon suivante :
- C’est un vêtement qui a traversé le temps et qui a donc une origine, ouvrière qui plus est, ce qui a d’autant plus de sens pour Céline. Pour rappel, le Jean est né le jour où la toile Jean (tissu très solide et très rigide qui est utilisé comme vêtements par les esclaves qui travaillent dans les champs de coton aux Etats-Unis. C’est une sorte de grosse salopette – ou “over all” – plutôt rigide qui s’enfile au-dessus des vêtements) est remplacée par de la toile Denim, plus souple, dans les années 1860. Ce changement d’étoffe permet alors aux travailleurs de porter les « over-all » comme un vrai vêtement. Pour compenser la faiblesse du nouveau tissu (qui est plus confortable mais moins solide), Lévi-Strauss dépose en 1873 le brevet des poches à rivet en cuivre ce qui donne le Jean que nous connaissons encore aujourd’hui.
- C’est une pièce universelle et connue de tous (tout le monde a certainement porté au moins une fois un Jean),
- Le Jean est le plus souvent de couleur bleue comme le ciel ou la mer, éléments de la nature puissants et apaisants en même temps,
- C’est aussi une matière souple, tendre tout en étant très solide … et qui donc me ressemble, me dit en souriant Céline.
- C’est un vêtement qu’elle porte depuis toujours, un essentiel de sa garde-robe, pièce qu’elle partage et s’échange avec son fils aujourd’hui.
Voilà le démarrage d’une belle et longue histoire d’amour entre une artiste et un tissu.
Une matière qui a un avenir
La véritable prise de conscience que la mode doit devenir éco-responsable et écologique, s’est accélérée avec la crise du Covid parce que le “temps rendu libre” qu’elle a procuré à certains, leur a permis d’avoir accès à des informations chiffrées et révélatrices, non seulement du gâchis mais aussi du coût écologique.
Pour Céline, cette période particulière va lui permettre de renforcer ses actions en faveur de l’upcycling parce que le plus grand nombre est prêt, maintenant, à en entendre parler et qu’il est vraiment temps d’agir tous ensemble !
Le Jean en est d’ailleurs un bon exemple :
De la culture des matières premières (les fibres de coton) à la confection du tissu, l’ensemble du processus de fabrication d’un Jean implique un usage gigantesque de pesticides, d’eau et de produits toxiques, auquel il faut ajouter le transport tout au long de la chaîne : par exemple, de la production du coton au Bénin à l’assemblage en Tunisie, un jean peut parcourir jusqu’ à 65 000 km avant de se retrouver dans nos placards.
Or, c’est près de 2,3 milliards de Jeans qui sont vendus dans le monde chaque année selon l’ADEME, soit 73 par seconde.
Et une fois porté jusqu’à la trame, ne sont-ils bons qu’à être jetés ?
C’est là où la vision de Céline va tout changer. En effet, pour elle, un déchet n’est pas un déchet mais bien une matière tangible, une réelle opportunité à saisir pour lui donner une nouvelle vie (voir son livre “100% Jean” qui propose des accessoires de modes et de décoration et quelques patrons faciles à réaliser)
Qu’il s’agisse de le réparer de façon visible (visible mending) ou invisible, ce travail de couture est là pour redonner vie à des vêtements justes abîmés ou un peu usés,
Ou bien de transformer le vêtement : raccourcir les manches, transformer une robe en tunique, retirer un col …,
Ou enfin, le surcyclage (l’upcycling), véritable recyclage par le haut puisqu’il consiste à magnifier le déchet : de vêtement usé, il devient tout autre chose : une assise de chaise, des boucles d’oreilles, un sac, des vêtements …
Créer pour nourrir notre humanisme
Cette dernière méthode consiste à dépiauter l’intégralité du Jean jusqu’au moindre de ses fils qui l’ont constitué parce que tout est recyclable, tout est réutilisable. De grand bocaux sont posés sur des étagères dans lesquels on retrouve, classés, fils, rivets, boutons etc… car tous ces éléments vont servir dans les créations à venir. L’existant ouvre tous les champs des possibles pour réaliser quelque chose de nouveau et de beau.
Cette activité préparatoire active doucement celui de la création (que vais-je imaginer ?) pour emmener ensuite vers celui de la réalisation (que vais-je faire ?). Céline m’explique que ce travail de construction, ce face à face avec elle-même, lui procure un sentiment de liberté immense par le simple fait de penser, réfléchir, se concentrer sur ses gestes … c’est comme une trêve bienfaisante au fracas du quotidien. Ces moments de calme, de paix, quasi méditatifs sont encore renforcés par la satisfaction d’obtenir un résultat concret et d’éprouver une joie profonde d’avoir réussi le recyclage espéré.
Cet ouvrage, a priori solitaire et fastidieux, vient au contraire rassurer Céline sur le sens même des mots “Travail” et “Produits de consommation”, en leur redonnant toute leur valeur, toute leur place dans la longue chaîne des mains humaines qui ont participé à la fabrication de l’objet initial. Même derrière des machines, il y a des êtres humains qui ont travaillé, sué aussi, risqué parfois leur vie (vu les conditions de travail dans certaines usines) pour que nous puissions porter notre Jean du moment. Ne pas le jeter parce que trop usé et lui redonner une nouvelle mission, c’est à la fois un acte militant (préserver la planète) et humaniste (remettre le respect de l’Humain au centre de notre quotidien).
Rencontre inspirante … je vous l’avais bien dit !
Jusqu’en 2019, Céline, en tant que spécialiste du DIY, vend ses objets uniquement à la commande et travaille pour des magazines de décoration et de mode. Puis arrivent les années Covid, bien difficiles économiquement pour une artiste qui fournit des pièces “sur-mesure” mais aussi propices à une réflexion sur comment partager et diffuser cette approche de “consommer moins pour consommer mieux.”
Déjà en 2020, lorsque la Cité des Sciences lui demande de participer à l’exposition “Jean : Découvrez le jean sous toutes ses coutures !”, Céline se retrouve avec des personnes qui abordent, sous divers aspects, les méfaits écologiques de la fabrication d’un Jean et les organisateurs lui demande d’assurer la conclusion par la présentation du upcycling, ce qui prend alors ici tout son sens.
En 2022, Céline sent la nécessité de se rapprocher de ses pairs, de ceux et celles qui pensent viscéralement que la mode éco-responsable devient vitale au 21ème siècle. Elle rejoint alors l’UAMEP (Une Autre Mode Est Possible), collectif présidé par Arielle Levy qui regroupe une centaine de bénévoles aux profils très différents (créateurs, chercheurs, agriculteurs …). Le lien, entre eux tous, est l’histoire que raconte le vêtement qui arrive en bout de chaîne : de l’agriculteur qui a cultivé le lin, par exemple aux personnes qui ont tissé, assemblé, cousu … aux vendeurs et jusqu’à la personne qui le porte à la fin. Une “humanitude“, c’est le mot d’ordre du collectif qui consiste à remettre l’Humanité au centre de la vie et à redonner de la valeur non seulement au produit fabriqué mais aussi aux travailleurs qui l’ont rendu possible.
L’UAMEP a pour objectif de revenir “aux fondamentaux du design : créer en prenant en compte l’environnement naturel, socio-économique et culturel”. Ce collectif “agit au travers de multiples leviers en intégrant les principes de l’économie sociale et solidaire et de l’économie circulaire : organisation d’événements et d’expositions, animation de tables rondes, création de boutiques responsables, expérimentations autour de la revalorisation textile et du zéro-déchet…”
Pour promouvoir cette image, Arielle Levy confie à Céline le poste de Directrice d’Identité de Marque pour l’UAMEP afin que la conception esthétique et graphique permette mieux et plus rapidement d’identifier visuellement le Collectif.
"La semaine des autres modes"
Céline participe, alors tout naturellement, à la 2ème édition de “La semaine des autres modes”, que l’UAMEP organise, début octobre, en marge de la Fashion Week parisienne. Cette manifestation prône, entre autres choses, la sobriété heureuse, qui se caractérise par une mode éco-responsable qui redonne du sens à l’achat d’un vêtement. Une des programmations phare de cette Semaine des Autres Modes de 2023 a été le Festival de la Réparation, à l’Académie du Climat, événement qui a permis de découvrir des techniques et des solutions, donnant envie de prolonger la vie des vêtements.
Pour Céline, toutes ces actions et engagements ne seront pérennes que s’ils sont encouragés et soutenus par les actes d’achat de tous les citoyens concernés par cette vision saine.
Partager, expérimenter, transmettre
Promouvoir l’upcycling, c’est le rendre accessible avec de la couture simple pour démarrer : c’est donc transmettre des gestes et des techniques mais c’est aussi partager l’instant magique de la transformation concrète de ce qui est usé en quelque chose que notre imaginaire a rêvé.
Si cette expérience vous tente, inscrivez- vous à l’un des deux ateliers qu’animera Céline Dupuy
- le mercredi 22 novembre de 17h00 à 19h00
- le dimanche 26 novembre de 18h00 à 20h
pendant la Pop Up Store de Voie 21 (21 novembre au 3 décembre), au 79 rue des Gravilliers 75003 Paris (M° Arts et Métiers ou Etienne Marcel).
Prix : 15 euros
Venir avec un vêtement à “upcycler”. Pour vous inscrire, cliquez ici
Céline organise toujours des cours de 3 heures dans son atelier, rue Louis Braille. Vous pouvez la contacter via son site internet : https://www.ateliercelinedupuy.com/contact
Une seule conclusion m’est venue à l’esprit : “L’avantage concurrentiel d’une société ne découlera pas de l’efficacité avec laquelle ses écoles enseignent la multiplication et les tableaux périodiques mais de la manière dont elles stimulent l’imagination et la créativité”. – Albert Einstein
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Cet article a été écrit par Hélène Gonzalez,
rédactrice curieuse et passionnée
– portrait de Céline (ouverture) : @ateliercelinedupuy
https://www.ateliercelinedupuy.com/
https://www.mars-elle.com/tissu-jean-jeans-denim-definition/
https://www.linfodurable.fr/conso/quel-est-le-cout-environnemental-dun-jean-27441
https://www.instagram.com/ateliercelinedupuy/ @ateliercelinedupuy
https://www.oxfamfrance.org/magasins/upcycling-reparer-et-customiser-ses-vetements/
https://www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-temporaires/jean
https://semainedesautresmodes.fr/evenement/festival-des-reparations/
Livres de Céline Dupuy : “Sac de Filles” (2004), “De Filles en Aiguilles” (2006), et “100% Jeans” (2014), aux Editions Marabout, et de la collection de patrons de Mlle Kou (2006).